Élections législatives : Squeezie versus Tibo Inshape

La campagne des législatives a fait sortir les influenceurs de leur réserve. En tête de file : les 2 plus gros YouTubeurs de France. Squeezie vs Tibo Inshape : si le premier est rentré dans l'arène, le second est resté plus réservé.

La possibilité de voir le Rassemblement National accéder au pouvoir a poussé les stars des réseaux sociaux à s’exprimer sur un sujet qu’ils ont l’habitude d’éviter : la politique.

Squeezie appelle à voter contre l’extrême droite

Si beaucoup d'influenceurs se sont simplement cantonnés à appeler leurs abonnés à accomplir leur devoir citoyen, sans donner de consignes de vote, d’autres n’ont pas hésité à choisir un camp. Au risque de perdre des followers. C’est le cas de Squeezie. Le 14 juin, dans un message publié sur Instagram, l’influenceur qui cumule 19 millions d’abonnés sur YouTube et affiche 9 millions d’abonnés à son compteur Instagram, a écrit à ses abonnés.

Dans un post très détaillé indiquant en quoi, selon lui, le programme du Rassemblement National représentait un danger, le 2ème YouTubeur de France (détrôné il y a peu par Tibo Inshape) appelle à faire barrage à l’extrême droite : "Gardez en tête que voter pour un parti qui prône la haine, la discrimination et la peur de l’autre n’a jamais été une solution et ne le sera jamais". Lucas Hauchard, de son vrai prénom, s’était pourtant jusqu’ici refusé à tout commentaire politique. Pour expliquer à sa communauté sa prise de position, il a indiqué : "S’opposer fermement à une idéologie extrême […] va au-delà d’une quelconque prise de position politique." À peine 6 heures après avoir été publié, son message comptait près de 1,2 million de like. Sa publication Instagram cumule à ce jour près de deux millions de mentions "j'aime". Une prise de position saluée par ses followers qui lui ont envoyé de nombreux messages de remerciements et de soutien. Notons que son appel à voter contre Bardella lui a fait perdre près de 100 000 abonnés sur YouTube. Une baisse très limitée qui correspond à 0,5 % de ses followers. Sur Instagram et TikTok, en revanche, l’effet a été positif puisqu’il a gagné, selon Social Blade, respectivement 70 000 et 100 000 abonnés.

Jordan Bardella agacé par l’appel à voter contre l’extrême droite de Squeezie

Un message engagé auquel Jordan Bardella a répondu très rapidement évoquant des critiques venant d'influenceurs "multimillionnaires". "J’ai découvert la lettre ouverte de Squeezie destinée aux jeunes. Depuis plusieurs heures, des multimillionnaires répondant à la très noble profession d’influenceur s’engagent 'apolitiquement' contre des millions de Français en copiant-collant les argumentaires (...) de la France insoumise.", s’est-il agacé dans une publication sur le même réseau social. Avec ironie, Jordan Bardella émet deux hypothèses sur ce qu’il qualifie d’une “agitation”. “La première, un 1 VS 1 sur Rust mal digéré à l’époque, après un mauvais quickscope ? La deuxième : s’être fait doubler par Tibo Inshape ? ».

Élections législatives : Tibo Inshape ne prend pas position… Mais ne serait pas contre un poste de Ministre des Sports

Tibo Inshape, premier YouTubeur de France, cité dans le message de Bardella, a finalement été contraint de s’exprimer. L’influenceur, régulièrement accusé de promouvoir des positions conservatrices, s’est montré plus réservé (d’autres diront moins courageux compte tenu des enjeux). En effet, contrairement à Squeezie, Thibaud Delapart de son vrai nom a choisi de ne pas prendre parti. Sur X (ex-Twitter), il a invité ses 1,3 million d’abonnés à apprendre "à (se) parler et à (s’)écouter pour essayer de se comprendre, de se faire évoluer et d’avancer vers un monde plus tolérant et bienveillant.” Dans le même message, il appelle ses followers à "faire (leurs) propres choix en accord avec (leurs) convictions, (leurs) besoins et (leurs) croyances” rappelant que “le vote est un droit et un devoir libre, personnel et anonyme”. Son post a récolté près de 8000 likes en 30 minutes.

Dans une interview donnée à Brut le 22 juin, l'influenceur, qui jusqu'ici s'était refusé à parler de politique, s'est montré plus loquace sur son orientation politique. "En toute honnêteté, je pense être plus de droite." a-t-il déclaré. "Déjà, je suis chef d’entreprise donc, forcément, moi dans l’isoloir, je pense à mon intérêt propre et celui de mes proches donc, effectivement, je peux me considérer plus de droite". L’influenceur a également indiqué ne pas être "contre" le fait de prendre la tête du ministère des Sports. “Que ce soit extrême gauche, extrême droite, à condition que je ne sois pas bloqué dans mes prises de décisions", a-t-il précisé. Il a profité de cet entretien pour récuser certaines des accusations à son encontre. "Je sais que je ne suis pas raciste, je sais que je ne suis pas homophobe, je sais que je ne suis pas tout ce qui finit en 'phobe', mais c'est vrai que les gens aiment bien me mettre cette image-là.", a-t-il déploré.

Élections législatives : Squeezie vs Tibo Inshape

Selon Visibrain, plateforme de veille des réseaux sociaux, la prise de parole de Squeezie du 14 juin a fait l'objet de plus de 80 100 tweets le jour même, soit 1 335 messages par minute. C'est 34 fois plus que l'activité habituelle du créateur de contenu.

Le post de Tibo Inshape, à l'image de son message, a créé beaucoup moins d'engagement, puisqu'il a généré 3 fois moins de messages.

Sur Instagram, le message de Squeezie est rapidement devenu viral, dépassant la barre du million de likes. Soit 3 fois plus que la moyenne de ses posts sur le réseau social. La publication de Tibo Inshape a quant à elle été légèrement plus likée qu'en moyenne. Son post a généré 10 % de likes en plus par rapport à la moyenne de ses autres posts.

Les influenceurs se mobilisent contre le Rassemblement National

Si certains influenceurs comme Cyprien et Sofyan ( respectivement 14,5 et 2,2 millions d'abonnés sur YouTube) ont relayé le message de Squeezie, d'autres, à l’instar de Mister V ou Lena Situations, ont eux aussi clairement pris position. Dans un post Instagram invitant sa communauté à se rendre aux urnes, Mister V n'a pas mâché ses mots : "Je vous invite tous à lire ce post. Et à tous aller voter le 30 juin et le 7 juillet prochain. Et bien sûr, pas pour des fafs [militants d'extrême droite français, NDLR] de merde". Lena Situations, influenceuse aux 4,6 millions d'abonnés, a elle aussi appelé sa communauté à aller voter contre le RN. "Votez et dites à vos proches d’aller voter. Contre l’extrême droite, contre la xénophobie, contre l’intolérance.” Là encore, on note que ces prises de parole n’ont pas eu de conséquences particulières sur leur nombre d’abonnés.

Parmi les autres prises de parole remarquées : celle d'Antoine Goretti. Le créateur de contenu de 34 ans, ex-candidat de téléréalité, s'est confié dans plusieurs médias sur son évolution politique “pour faire réfléchir les gens” indique t-il. Déclarant avoir "succombé" au vote Front National à ses 18 ans, "C’était un vote d’enfant, de gamin qui ressassait ses traumas du passé et qui les mettait dans l’urne", il indique voter désormais à gauche. L'influenceur, fils d'immigré italien (ses grands-parents ont fui l’Italie de Mussolini), indique avoir eu honte pendant longtemps : "Je ne l'ai avoué à personne". Il explique son choix : "Pendant mon collège et mon lycée, j’ai subi du harcèlement par des jeunes Maghrébins et j’ai cristallisé une sorte de rancœur, d’animosité envers mes harceleurs, en faisant un amalgame total. J’ai cru que tous mes malheurs étaient dus à eux." Depuis, le trentenaire a parcouru du chemin. "J’ai eu la chance de vivre à l’étranger, j’ai rencontré des personnes de différentes cultures, religions. Je me suis instruit.", indique-t-il. Celui qui s'est longtemps considéré de droite et indique avoir voté pour Sarkozy, puis Macron, a voté Mélenchon à la dernière présidentielle. Comment expliquer ce revirement ? "Le cheminement a été simple", explique t-il en citant Gilles Deleuze : "Être de gauche c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite, c’est l’inverse."

Autour de l'agence d'influenceurs Perrine Am, plus de 200 créateurs et créatrices de contenus se sont également mobilisés pour faire barrage au Rassemblement National. L'idée est de regrouper "des créateurs de contenus qui ont envie de parler de politique" mais "ne se sentent pas légitimes de le faire" et souhaitent "faire barrage" à l'extrême droite, a expliqué Perrine Bon fondatrice et dirigeante de l'agence. Son agence a également coordonné, avec Imane du compte grimpe.fr et Math du compte Cht.am, la publication d'une tribune signée par plus de 60 créateurs et créatrices de contenus, publiée dans le Nouvel Obs. Jugeant que leur "silence serait complice", ces influenceurs ont appelé les créateurs de contenus à "s’engager, à user de leurs voix et de leurs audiences, avant qu’il ne soit trop tard".

Les influenceurs d’extrême droite

Papacito, Valek, Baptiste Marchais... Les influenceurs d'extrême droite sont très présents sur les réseaux sociaux et invitent eux aussi leurs followers à se rendre aux urnes. Très actifs sur les réseaux sociaux, leurs vidéos dépassent les millions de vues. YouTube a été pour un grand nombre d'entre eux une plateforme de lancement. La chaîne YouTube de Papacito a été supprimée de YouTube en 2023 suite à une série de vidéos choquantes. En 2021, il avait par exemple simulé le meurtre d'un électeur de gauche dans une vidéo. On les retrouve désormais sur TikTok et Instagram où ils utilisent les mêmes mécanismes que les influenceurs de divertissement : contenus engageants et partage de vie privée pour créer un sentiment de proximité et d'authenticité avec leurs followers. Selon une enquête de Tristan Boursier, chercheur au CEVIPOF : "Ils défendent une idéologie nationaliste, autoritaire et antidémocratique via les réseaux sociaux, et s’inspirent grandement des tactiques militantes de l’alt right étatsunienne". Dans le cadre de ses recherches, le chercheur a également constaté que l'antiféminisme (opposition à l’égalité hommes-femmes) est un thème structurant chez un grand nombre d’entre eux. “Le discours antiféministe leur permet également de radicaliser une partie de leur public vers d’autres idées du corpus d’extrême droite, notamment la croyance en l’existence de races." indique le chercheur. Plus surprenant, ce discours antiféministe est également porté par des femmes. Thais d'Escufon ou encore Alice Cordier n'hésitent pas à s'inspirer du mouvement américains Tradwives (« épouses traditionnelles »).

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